Les bons samaritains à la caisse prioritaire

La semaine passée, j’ai eu une idée lumineuse de merde :  m’arrêter faire une course au Carrefour du coin. J’avais juste deux ou trois trucs à acheter. Genre de la salade et du jus de fruit, pas un caddie entier. Je me suis donc dis que je pouvais y aller toute seule sans problème, que je n’aurais pas grand chose à porter et que ça allait être vite fait, même si j’étais assez fatiguée.

Prise d’une audace incroyable, je décide même de flanner un peu dans le rayon librairie, histoire de voir si j’allais pas m’offrir un petit magazine ou deux, YOLO ! Mais le monde autour de moi m’a rappelé qu’en fait, les trops grandes surfaces, je n’aime pas vraiment ça, et que puisque ça me stresse, autant me magner un peu. Je lâche le coin presse un peu agitée et pas très sereine, et je vais chercher ma salade, mon jus de fruit, et je prends au passage du lait, du pain, et je ne sais même plus quelles autres babioles. Un peu plus lourd et encombrant que ce que j’avais prévu à la base, mais de toute façon il n’y avait plus de paniers à l’entrée.

En arrivant aux caisses, je réalise que l’idée selon laquelle « il y aura moins de monde à l’heure du déjeuner » est fausse. Enfin si, il y a moins de monde en personnel de caisse, mais autant de clients. Bien entendu, les caisses en libre-service elles, sont fermées. Je balaye la scène de gauche à droite pour essayer de repérer la file qui me fera passer le plus vite, et je m’arrête sur la toute 1ère à côté de l’entrée : la caisse prioritaire pour handicapés et femmes enceintes. Je ne la prends jamais et jusque là mon ventre ne se voyait pas assez pour que je m’en sente légitime, mais à 6 mois de grossesse, manteau ouvert, je me dis que ça me fera sans doute passer un peu plus vite. Je m’y installe, il y a 3 personnes devant moi, ça devrait aller assez vite.

C’est à ce moment que je l’ai entendue, la bonne âme charitable de devant. Une dame, la cinquantaine et la voix qui porte, qui devait être la suivante à poser ses articles sur le tapis, mais qui dit finalement au couple de personnes agées entre elle et moi de passer devant, parce que « c’est bien normal ». Le duo la remercie et ils échangent leur place. Elle en rajoute une couche en leur disant que c’est une caisse prioritaire, que c’est fait pour ça, et que même si elle accompagne elle aussi un handicapé – mental de ce que je comprends – ils en ont plus besoin qu’elle. Je souris, en me disant que les gens sont donc vraiment respectueux sur cette caisse.
Je me rends alors compte qu’elle me regarde, ou plutôt qu’elle voit mon ventre et comprends que moi aussi, j’ai mon petit sigle sur le panneau. Elle tire la tronche et tourne le dos.

Ah. Je sens clairement qu’une pensée du type « et meeeeeerde une femme enceinte faudrait que je la laisse passer aussi… » lui a traversé l’esprit. Mais moi je ne demande rien, j’ai juste hâte de poser mes articles sur le tapis parce qu’ils commencent à peser et que j’ai le bide qui tire.
Je la regarde déposer ses achats  et je commence à me relâcher un peu, mon tour étant tout proche.

Mais c’était sans compter sur ce vieux monsieur, l’air hagard, qui soudainement passe derrière elle avec son caddie plein à craquer et qui vient se positionner en tête de file. La bonne samaritaine est un peu interloquée, moi aussi, et le monsieur derrière moi également. À mi-mots, nous nous disons que le bougre a l’air perdu et ne se rend peut-être pas compte. « Alzeihmer peut-être? » propose l’homme derrière moi. Mais non, la réponse était bien plus logique que ça : quelques secondes après, nous voyons arriver l’épouse, qui passe également devant tout le monde et qui explique « qu’ils étaient là avant mais qu’ils avaient oublié quelque chose ». Ah bah oui c’est logique, fais donc la queue, pars pendant 5min au minimum avec ton charriot et reviens te mettre à la place que tu avais à l’origine. Devant la tête visiblement étonnée de ma bonne dame de devant, l’épouse rétorque « bah oui, vous n’avez pas vu le panneau? » en pointant du doigt le rectangle « Caisse prioritaire ».

Mon gros ventre et moi, on a trouvé cette excuse totalement con : vu que je suis aussi prioritaire, et vu qu’ils étaient partis, n’auraient-ils pas du se remettre derrière moi? Visiblement, ça ne leur a même pas éfleuré l’esprit. Quoiqu’il en soit, sans plus aucune place sur le tapis, vider leur caddie est un bon merdier. Ce qui laisse le temps à ma voisine de devant d’expliquer à l’épouse qu’elle est auxiliaire de vie, qu’elle comprend, que bien entendu ils sont prioritaires, qu’elle, elle travaille mais que celui qu’elle accompagne n’a pas d’handicap physique donc que c’est tout bon.

J’ai l’impression que mon ventre va toucher terre tellement l’apesanteur se fait sentir, mais je ne suis pas au bout de mes surprises, non, non ! La bonne femme devant moi décide alors de jeter un oeil vers l’arrière et aperçoit, deux personnes derrière moi, un homme en fauteuil roulant.

« Ah bah, je vais vous laisser passer devant moi Monsieur ! Je ne peux pas enlever mes affaires du tapis mais allez-y, quand même, vous êtes prioritaire ! ». Et la voilà qui ouvre un chemin devant moi pour que l’homme passe avec son fauteuil. Intérieurement, j’explose : il y a-t-il donc une priorité entre personnes prioritaires? L’ordre d’arrivée n’a donc aucune incidence? Si d’autres personnes handicapées se pointent, va-t-elle tous les laisser passer devant moi? Est-ce que quelqu’un peut m’apporter une chaise?
Sans minimiser l’handicap du gars, il ne semblait pas fatigué, avait ses affaires dans un panier, pendant que moi j’étais en train de faillir après 10min à poireauter avec mes affaires dans les bras et un manteau bien trop chaud.

Mais sur le moment, je me suis dit « peut-être bien. Peut-être qu’en étant enceinte je ne suis pas assez légitime. J’ai beau avoir une icone me représentant, je ne dois pas sembler prioritaire ».

C’est à ce moment là que l’auxiliaire de vie se décide à m’adresser la parole : « je vais vous laisser passer aussi Madame, puisque vous n’avez que ça ». Je commence par décliner, parce que je suis à deux doigts de pouvoir poser mes affaires sur le tapis alors qu’en passant devant elle, je n’aurais pas de place pour ça, et j’ai vraiment besoin de les poser Et puis comment ça « puisque vous n’avez que ça » ? C’est la seule raison pour me laisser passer ? Il n’est pas assez gros mon ventre ? Est-elle aveugle ou juste tristement bête?.
Mais c’est qu’elle insiste « si si allez-y, comme ça vous aiderez le monsieur en fauteuil à remplir son sac ».

« … »

Je m’exécute, ne sentant pas vraiment que j’ai le choix, et je me retrouve comme une nouille, les bras toujours pleins et le dos commençant à tirer aussi, devant elle, mais sans pouvoir aider pour autant le mec. Histoire d’en rajouter encore un peu plus en longueur, alors qu’il demande à la caissière de lui prendre sa CB dans son portefeuille pour l’insérer dans l’appareil, ne pouvant y accéder avec son fauteuil (vraiment bien pensée cette caisse !), le vigile intervient pour l’empêcher. Mais comme il ne semble pas comprendre, il demande ensuite à la brave fille de lui taper son code. Réintervention du vigile, qui n’a pourtant pas d’autre solution à proposer. Notre homme à roulettes se retrouve donc à taper son code, penché en avant, du bout du bout des doigts.

Pendant ce temps, j’entends ma brave auxiliaire discuter avec l’homme qui était à l’origine derrière moi. Ils en rajoutent trois tonnes sur le fait que c’est normal de laisser passer les personnes prioritaires avant eux, qu’eux ils ont le temps, et puis ils sont en bonne santé, et puis surtout, il faut aider son prochain, oh oui aider son prochain c’est important, parce qu’ils sont catholiques et que c’est leur devoir. Ils le répètent plusieurs fois, en s’auto-congratulant. Je pense au dernier livre de Laurent Gounelle sur l’égo, et je me demande si finalement ils ont laissé passé tout ce monde parce qu’ils sont plus en peine qu’eux, ou pour pouvoir se vanter d’avoir fait leur B.A de la journée. M’est avis que c’est plutôt la seconde raison.

Je finis enfin par passer mes articles, je paie rapidement et je sors en sanglotant, à bout de nerfs. 15min à poireauter en caisse, sans oser m’imposer une seule fois, et me sentant absolument pas à ma place, pas assez handicapée dans ma tête, mais bien trop dans mon corps. La prochaine fois, je prendrai une caisse normale.

7 réflexions sur “Les bons samaritains à la caisse prioritaire

  1. Lalutotale dit :

    On ne se sent pas assez légitime et avec le recul, je me dis que si, on l’est carrément.
    Vers mon 6ème mois, je suis allée acheter un pack de lait et d’autres babioles. Inutile de dire que j’avais pris un caddie. Je passe en caisse prioritaire, 4 personnes devant moi. Tout le monde, un par un, se retourne, voit mon bide, et se remet « dans le droit chemin » comme s’ils n’avaient rien vu. Je ne dis rien, ne me sentant pas assez « légitime » ( on te bassine tellement avec le concept « être enceinte c’est pas une maladie » que tu culpabilises pour n’importe quoi ). Arrivée en caisse, la caissière me demande de poser mon pack de lait sur le tapis, car elle ne peut pas se pencher assez. Je lui dis « donnez-moi votre scannette plutôt ». Elle me rétorque que le fil n’est pas assez long, et me répète de porter mon pack de lait pour le poser sur le tapis. Mortifiée devant son insistance, je m’éxécute. Dix minutes après, dehors, je me paye mes premières contractions de grossesse très douloureuses…

    Au 8ème mois, je passe acheter un truc léger ( genre des tisanes ) facile à porter. 6 personnes devant moi. Pareil : ils se retournent, aucun ne bouge. Ben là je peux te dire que je suis passée devant eux, sans mot dire. Un homme de 50 ans et une nénette de 20 piges ont bien tenté de protester puis soufflaient ostensiblement, je leur ai dit que s’ils n’étaient pas contents, y’avait une autre caisse juste à côté.

    Parce que MERDE sur le panneau c’est pour handicapés MAIS AUSSI pour les femmes enceintes, spa pour rien !!!

    J’aime

    • junkanmood dit :

      Non mais c’est quand même dingue ce manque de considération ! Comme si le fait que l’état ne soit pas permanent le rendait plus facilement supportable? Est-ce que du coup ils ne laissent pas passer quelqu’un avec la jambe dans le plâtre aussi?
      Franchement je ne sais pas si j’oserai passer devant des gens parce que j’admets être très sensible aux critiques. Ceci dit, je ne suis pas encore à 8 mois : peut-être qu’à ce moment là j’en pourrai tellement plus que je m’en foutrai !

      J’aime

    • sylvie dit :

      pourtant il existe bien un ordre de passage en caisse prioritaire prévu par la loi, le voici
      ces caisses « dédiées » sont ouvertes à TOUS, mais il est demandé aux clients de laisser passer devant :
      les personnes en fauteuil roulant
      les personnes diminuées physiquement (handicap moteur, personnes âgées)
      les femmes enceintes
      les personnes avec des enfants en bas âge
      les personnes accompagnées d’un chien guide

      J’aime

  2. Stéphanie - Il Etait Une Fois... Cocotte dit :

    Quelle aventure! Le comportement des gens m’étonnera toujours…
    Il m’est déjà arrivée d’emprunter la caisse prioritaire et dans ce cas je laisse passer les gens prioritaires.
    Une fois, je faisais la queue à cette fameuse caisse, une personne est littéralement passée devant moi, poussant mes affaires pour y installer les siennes, en m’ignorant totalement… Je l’ai fixé avec étonnement, elle s’est retournée et m’a dit : je suis vieille alors je passe devant vous… ^_^ Enfin elle pouvait juste demander…

    J’aime

  3. lubiesrousses dit :

    Bonjour, je viens de parcourir ton blog et plusieurs de tes articles m’ont bien fait rire (Gérard notamment !) 😊.
    Je réagis ici car j’ai vécu un grand moment dans un supermarché… 15 jours après avoir accouché 😂! Il y avait bcp de monde, au moins 10 personnes à chaque caisse…quand je suis arrivée, tout le monde m’a laissée passer 😣! J’etais très fatiguée de la grossesse et de l’accouchement avec une infection au niveau de l’utérus qui faisait que mon ventre ne diminuait pas. Alors, en sortant du magasin je me suis dis que tant qu’à avoir toujours un petit bidon, autant qu’il serve à qqchose 😂! D’autant que mon ventre me faisait souffrir ! Je n’ai vraiment pas eu le courage de dire que je venais d’accoucher. Je précise que je n’ai pas lésé d’autres personnes qui auraient pu être prioritaires !

    J’aime

  4. syssy dit :

    Mesdames, bonjour
    Les caisses prioritaires sont en premier lieu pour les personnes handicapées (avec carte) et ensuite pour les femmes enceintes (regardez bien les panneaux affichant la priorité, le fauteuil est en 1 ère position et vous en 2 e. Quand vous êtes à une caisse prio, s’il y a des personnes handicapées avec carte, vous leur devez la priorité (si refus risque de 3 ans de prison et/ou 35 000 €).
    La priorité pour femme enceinte est une faveur commerciale (vous êtes de futurs gros budgets pour eux) pour preuve il y a des magasins où il n’y a que le pictogramme fauteuil (le handicap ne se voit pas toujours donc pourquoi c’est le fauteuil qui doit représenter une personne handi) et rien pour vous.
    La personne handicapée, peut si elle le désire voulez passer, mais pas l’inverse.
    Désolée pour le retard de ma réponse, mais j’espère qu’elle pourra renseigner de nouvelles futures mamans, je vous souhaite d’avoir un magnifique enfant et qu’il soit aussi gentil que le mien il a 22 ans.

    J’aime

Laisser un commentaire